lundi 26 octobre 2015

Jayne


Du trop de réalité


En fait, une nouvelle forme de censure ne reposant plus sur l'interdiction et le manque mais sur l'excès, voire le gavage, nous menaçait au plus profond de nous-mêmes, nous empêchant de prendre de la distance, aussi bien pour penser que pour rêver.
Ainsi, en suis-je venue à l'idée d'un « trop de réalité », non sans être en prise de vertige à en reconnaître les effets dans tous les domaines, qu'il s'agisse de l'information, de l'alimentation, de l'habillement, sans parler des loisirs.
Pire, ce « trop de réalité » était en train de devenir notre seule et unique réalité, imposant sa positivité mensongère à travers ce que j'ai appelé un langage de synthèse, propre à faciliter le formatage de nos façons d'être et de penser, pour produire autant d'idées dans corps que de corps sans idées. Ce constat, je le faisais il y a dix ans, rien depuis n'est venu infirmer les sinistres perspectives.

Annie Le Brun, Nouvelles servitudes volontaires

Julianne


Nous ne goustons rien de pur

La foiblesse de nostre condition fait que les choses, en leur simplicité et pureté naturelle, ne puissent pas tomber en nostre usage. Les élémens que nous jouyssons sont alterez, et les metaux de mesme ; et l'or, il le faut empirer par quelque autre matiere pour l'accommoder à nostre service.

Michel de Montaigne, Nous ne goustons rien de pur, Les Essais